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Chaud Froid
10 janvier 2008

Au pied du chêne. Chapitre 1. Naissance.

images_3Je suis né un matin de pluie. Le ciel avait décidé ce jour-là de déverser sur la terre des torrents d’eau. Elle tombait en averses lourdes depuis des nuages chargés de ténèbres. A l’heure où le ciel était habituellement lumineux, il faisait encore nuit. Ma mère était restée longtemps allongée sur sa couche. Elle avait bien senti aux premières faibles lueurs du jour que le tonnerre allait lui déchirer les entrailles. Rien ne serait plus jamais comme avant. Son ventre s’ouvrirait pour me laisser sortir. Je me rappelle de mon premier soupir. J’étais sorti et j’avais soupiré. Ne pas trop s’attacher à un enfant qui naît en soupirant, comme un début d’éternité. Seuls les mourants expirent de cette façon. C’était une bien singulière entrée dans la vie que d’y faire son premier pas en marche arrière ! Ma mère me prit malgré tout sur son sein et pleura sur mes joues fripées et rougies par la morsure de la vie. Je souriais. J’étais enfin libéré. Voir enfin la lumière, contempler le monde que j’avais imaginé pendant ma longue traversée. Je venais de l’autre côté de la mer. Un si long voyage mérite bien un soupir. Je me débarrassais de la fatigue du chemin. Je n’avais pour ma part aucune intention de repartir avant d’avoir pu admirer toutes les merveilles que je m’étais imaginées pendant le long sommeil du voyage. Un étrange sentiment m’envahissait, quelque sensation au creux du ventre que je ne connaissais pas. Et l’impossibilité de la contrôler cette drôle de chose inconnue… Alors bousculé par l’émotion, prenant à mon compte toute la tristesse du monde, m’adossant à ces milliers d’enfants qui regardent les adultes depuis la nuit des temps sans les comprendre, désespéré par un oisillon au creux de mes mains qui laisse sa tête s’effacer et retomber pour mourir doucement loin de son nid, déchiré en pensant à cette petite fille qui découvre sur le bord de la route son chat endormi dans une position indécente, étouffé par les larmes retenues d’un père qui laisse son fils pour la première fois à l’école, comme un signe d’une séparation à venir, envahi par les images du monde et de ses beautés, englouti par le sang rouge d’un soleil couchant, baigné par une vague explosant dans la lumière de la tempête, émerveillé par un ciel d’encre, étourdi par le vent, pris de vertige en face des milliers d’étoiles d’une nuit sans lune, hurlant de joie, applaudissant, pleurant de joie, pleurant de tristesse, je laissais couler sans bruit un flot de larmes tièdes et sucrées. Ma mère sourit alors et se dit que je devais être muet. Cette explication lui donnait une clef. Celle de mes pleurs silencieuses, une clef de ma vie. J’étais entré dans le monde sachant déjà, sachant depuis toujours, la tristesse et la joie. Mon père, ce géant, ce héros, se pencha alors sur ma minuscule personne et dit : « Bienvenue parmi les hommes » et son visage aussi était baigné de larmes…
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